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Viande bovine : le manque d’offre soutient les prix

La décapitalisation continue des éleveurs de bovins conduit à une raréfaction des animaux disponibles pour l'engraissement, d'où l'envolée des prix.

La flambée des prix de la viande bovine ne s’arrête plus et on ne voit pas bien ce qui pourrait la freiner, même l’accord commercial avec le Mercosur. Car la décapitalisation à l’origine du manque se poursuit en Europe et ses effets sont renforcés par les événements sanitaires.

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Des réformes laitières à plus de 6 € le kilo, des petits veaux mâles à presque 300 €. Jamais les filières bovines n’avaient connu de tels prix. Le redressement a commencé en 2020 et fait un nouveau bond en 2022. Depuis, les prix restent à des niveaux bien supérieurs à ceux de la période précédente. Comment l’expliquer ? Et surtout, cela va-t-il durer ? Pour Caroline Monniot, spécialiste de ces marchés à l’Institut de l’élevage (Idele), rien ne permet de prédire un renversement de tendance. « L’Union européenne manque de viande ce qui favorise des prix élevés. » Cette situation s’explique par la décapitalisation observée dans les élevages depuis plusieurs années, en lien avec la démographie, mais aussi avec la faiblesse endémique des revenus pendant des décennies. Aux Pays-Bas, c’est la réglementation environnementale qui a entraîné une réduction des cheptels.

L’Union européenne a perdu 2,7 millions de vaches entre 2016 et 2024, dont 2 millions de vaches laitières. Selon les prévisions de la Commission européenne, elle en perdra encore autant, voire plus, d’ici à 2035 (environ 2,9 millions). Le recul s’établit à 1 % par an en vaches laitières et 0,7 % en vaches allaitantes. Cela induit une baisse mécanique du nombre de veaux pouvant être engraissés.

L’envolée des prix s’est accentuée en 2025 en raison des problèmes sanitaires. FCO et MHE dégradent les performances à la reproduction et augmentent la mortalité. Ces maladies retardent et réduisent l’arrivée des veaux, elles incitent les éleveurs à garder leurs vaches. « Sur la dernière campagne, en France, il y a eu 216 000 naissances en moins dans les troupeaux allaitants, soit 6,6 % de baisse en un an », constate Caroline Monniot.

La consommation baisse moins vite que la production

Par ailleurs, les éleveurs laitiers qui le peuvent préfèrent repousser les réformes pour produire davantage de lait, qui bénéficie lui aussi d’un prix soutenu. En outre, les épisodes de sécheresse jouent dans l’autre sens. Le manque de fourrages disponibles peut inciter à vendre des animaux. La publication Tendances lait et viande de l’Idele constatait ainsi un ralentissement de la hausse des prix et une certaine reprise des abattages en juillet. Mais ce rebond ne se confirme pas en août et septembre.

Le fait que ces tendances soient observées partout en Europe complique le recours à l’importation pour équilibrer. Ce manque d’animaux crée une concurrence entre les abatteurs qui ont besoin de faire tourner leurs outils. Et les prix montent. Car, en face, la demande demeure. Certes, la consommation de viande rouge tend à diminuer en Europe au profit de la volaille, mais ce phénomène est lent et d’une ampleur moindre que la baisse de production. La viande de bœuf reste très appréciée, notamment dans la restauration. Selon Agreste, la part de l’origine bovine est passée de 30 % de la consommation de viande en 2004 à 24 % en 2024.

38 % de viande française en restauration

Cependant, les prix du bœuf et du veau continuent d’augmenter plus vite que l’inflation générale : + 6 % sur un an en août. Ce qui, à la longue, pourrait avoir un impact sur les achats des ménages. Au cours des cinq premiers mois de 2025, la consommation de viande bovine a baissé de 4 % en France par rapport à la même période en 2024.

Une étude de FranceAgriMer a montré que 32 % du budget des ménages consacré à l’alimentation passe par la restauration hors domicile. Cette part ne cesse de croître. Or ce secteur se montre très vigilant sur les prix. L’étude repose sur des enquêtes et évalue à 38 % la part de la viande française dans la restauration. Globalement, la France est déficitaire en viande bovine et en importe 359 000 tonnes équivalent carcasse (tec) par an, essentiellement d’Europe. En 2024, les exportations représentent 242 000 tec principalement de jeune bovin (90 %).

On pourrait penser que cette hausse des prix stimule le développement et l’installation. En réalité, d’une part, le capital nécessaire grimpe, ce qui complique les transmissions ; d’autre part, il est probable que certains éleveurs partant à la retraite choisissent de dissocier la vente du troupeau de la reprise de la ferme pour profiter des prix de la viande. Par ailleurs, les revenus des éleveurs spécialisés en bovins viande restent bas malgré la hausse des prix. Pour en profiter, il faut du volume, ce qui manque souvent compte tenu des problèmes sanitaires.

Les USA décapitalisent aussi

Ailleurs dans le monde, la décapitalisation est aussi observée, même aux États-Unis. Traditionnellement, la production y suivait des cycles sur huit ans, avec des chutes de production quand les prix étaient faibles, suivies de relance lorsque les cours repartaient à la hausse. Mais, depuis quelques années, le sud du pays a connu plusieurs sécheresses affectant la production de fourrages. Les éleveurs ont dû décapitaliser. Pour compenser, les USA importent, notamment des carcasses en provenance d’Amérique du Sud et du Canada et des broutards mexicains.

Les abattages de veaux de boucherie ont reculé de 25% en dix ans, essentiellement à cause du manque de veaux. (© Claudius Thiriet)

En 2025, la résurgence de la lucilie bouchère au Panama puis au Mexique a entraîné la fermeture de la frontière sud des États-Unis pour les bovins vivants. Il s’agit d’une mouche qui pond dans les plaies ou les orifices. Les larves se développent ensuite en se nourrissant de tissus vivants. Cette mouche peut parasiter les bovins, mais aussi les humains. L’impact pourrait être redoutable sur les troupeaux états-uniens si la mouche passait la frontière. Malgré tout, Rabobank mise sur un retournement de tendance en 2026 aux USA. Profitant d’une météo plus favorable cette année, les éleveurs ont conservé davantage de génisses. Toutefois l’âge moyen des éleveurs de bovins viande (58,5 ans) et le manque de main-d’œuvre constituent des freins majeurs au développement.

En 2025, la production semble plafonner en Australie et au Brésil, après des années de forte croissance pour ce dernier où le cheptel a augmenté de 8 M de têtes entre 2018 et 2023. Premier exportateur mondial de viande bovine, le Brésil s’appuie sur un cheptel de 190 M de têtes et des prix attractifs en 2024. L’export s’est développé vers la Chine (+ 10 % en 2024) ainsi que vers les États-Unis.

L’UE augmente ses importations

Les ventes vers l’UE ont représenté 95 000 tec en 2024, surtout à destination de l’Italie. Le Brésil exporte aussi du bétail vivant (1 M de têtes en 2024) vers l’Afrique et le Moyen-Orient.

En juillet, la Commission européenne a affiné ses prévisions pour le marché de la viande bovine en 2025. Elle s’attend à une baisse de la production de 1,3 % sur l’année et anticipe une accélération de la tendance en 2026. Les exportations européennes sont attendues à - 4 % et les importations à + 5 %. Au premier semestre 2025, la production a déjà reculé de 3 % (- 100 000 tec) tandis que les importations ont augmenté de 46 % (+ 15 000 tec). En juillet, les importations européennes de viande bovine en provenance des pays du Mercosur ont bondi de 80 % pour atteindre 30 000 tec. Cet essor semble se confirmer en août. Malgré tout, l’UE reste nettement exportatrice de viande bovine.

La menace de l’accord avec le Mercosur

Le 3 septembre, la Commission européenne a officiellement lancé le processus de ratification de l’accord de libre-échange avec le Mercosur (Argentine, Bolivie, Brésil, Paraguay et Uruguay). Elle a dissocié l’accord global, qui nécessite la ratification des Parlements des 27, et le volet commercial. Celui-ci pourrait donc être mis en œuvre dès sa ratification, qui est annoncée d’ici à la fin 2025. Les organisations professionnelles françaises s’inquiètent : l’accord prévoit un contingent sans droit de douane de 99 000 tec, dont 60 % de bœuf Hilton (haut de gamme). Or, selon l’Idele, le prix de l’aloyau sud-américain est inférieur de 40 % à celui de l’UE.

« Nous exportons aussi, donc nous ne sommes pas contre les accords de libre-échange, explique Emmanuel Bernard, président de la section bovine d’Interbev. Mais les importations doivent respecter nos règles. » Il garde l’espoir que le traité ne soit pas ratifié et estime que le modèle d’élevage français, qui fournit une viande de qualité et crée de nombreux emplois ruraux, doit être protégé. Il s’inquiète de voir la Commission européenne introduire une compensation de ­déstabilisation des marchés dans la Pac 2027. Comme si elle anticipait des dégradations.

Les défenseurs du Mercosur mettent en avant la nécessité de réagir à l’instabilité géopolitique mondiale. Cet accord créera la plus grande zone de libre-échange du monde. La Commission tente de rassurer les filières agricoles en proposant de compléter l’accord par un acte juridique, dont les contours et la légitimité restent flous. Elle assure aussi que l’accord ne modifie en rien ses exigences sanitaires et phytosanitaires sur les importations. Or, si les produits importés doivent être conformes aux normes de l’UE, l’accord ne contient pas d’exigences pour les modes de production (médicaments, phytos, bien-être animal…).

Le pire n’est jamais sûr

Les craintes exprimées par la filière bovine rappellent celles qu’elle avançait au moment de la négociation d’un accord de libre-échange avec le Canada (Ceta). Même si ce dernier n’est pas ratifié, il s’applique de manière provisoire depuis 2017. Pour la viande bovine, les droits de douane ont été supprimés et les contingents d’importation de l’UE ont été fixés à 67 950 tec à partir de 2022. Les importations de viande bovine canadienne restent cependant très limitées, de l’ordre de 1 000 tec. L’explication viendrait de la difficulté des opérateurs à produire une viande conforme aux standards européens, sans anabolisants. Emmanuel Bernard y voit aussi un choix opportuniste. « La demande soutenue des USA a offert un débouché facile aux Canadiens. »

Alors que de nombreux éleveurs laitiers ont abandonné l'engraissement de taurillons, les éleveurs spécialisés peinent à prendre le relai. (© Isabelle Lejas)

Économiste à l’Inrae, Vincent Chatellier relativise les risques. « La viande du Mercosur n’arrive pas en France. Et rien ne dit que ces pays pourront produire le contingent ouvert pour l’Union européenne. » Il ajoute que la Chine importe dix fois plus de viande que l’UE et qu’il s’agit d’un marché plus accessible pour les pays du Mercosur en matière d’exigences sanitaires. Ainsi le Brésil, très polarisé sur le marché européen il y a dix ans, y pèse moins aujourd’hui. Par ailleurs, la demande mondiale augmente, notamment en Afrique et au Moyen-Orient, deux régions qui achètent beaucoup en vif. L’Idele s’interroge : le Mercosur pourra-t-il fournir tout le monde ?

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